15 février 2017

Rentrée solennelle du stage du barreau du Sénégal, Dakar, le 14 février 2017

Retrouvez le discours de Pascal Eydoux à l'occasion de la rentrée solennelle du stage du barreau du Sénégal le 14 février 2017 à Dakar.

Monsieur le Ministre de la Justice,
Monsieur le Président du Conseil Constitutionnel,
Monsieur le Président de la Cour des Comptes,
Monsieur le Président de la Cour Suprême,
Mesdames et Messieurs les Hauts Magistrats,
Mesdames et Messieurs les Hautes Personnalités,
Monsieur le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats du Sénégal, Bâtonnier M’baye Gueye,
Monsieur le président de la Conférence des Barreaux de l’espace UEMOA,
Monsieur le président de la Conférence des Barreaux des Etats membres de l’OHADA,
Monsieur le président de la Conférence Internationale des Barreaux de tradition juridique commune,
Madame, Messieurs les Bâtonniers,
Mesdames, Messieurs,
Messieurs les membres du CNB,
Madame la Directrice des affaires juridiques,
Mes chers confrères,
Chers secrétaires de la Conférence,

Je suis particulièrement heureux d’être à Dakar parmi vous. J’ai le privilège et la fierté d’y conduire la délégation du CNB afin de célébrer à vos côtés la rentrée solennelle du barreau du Sénégal en ce début d’année 2017 et je tiens à remercier M. le Bâtonnier M’baye Gueye pour son invitation.

J’ai trop rarement plaisir à partager et à vous retrouver lors des rentrées ou des congrès organisés par chacun d’entre nous.

L’énergie qui anime ces événements illustre la passion qui habite la profession d’avocat et sa volonté de fraternité, de solidarité, d’unité et de progrès.

Notre passion est celle du droit au service de tous nos concitoyens et de toutes nos entreprises, grandes ou petites. Ce droit qui constitue un facteur de régulation sociale et de régulation économique, dont nous sommes, nous les avocats, les acteurs déterminés et indispensables.

Nous ressentons parfois la difficulté de maintenir ces liens, de les faire vivre au-delà des congrès, des rentrées et rencontres multiples et de rester informés de l’évolution de la profession dans nos pays respectifs. Il est pourtant de notre devoir de suivre ces évolutions, d’apprendre les uns des autres, de nous enrichir les uns avec les autres.

Le numérique :

Mais nous trouvons néanmoins l’opportunité de garder ce contact et de mettre en commun les savoirs de chacun grâce à l’apport du développement de l’espace numérique.

A ce titre, je me réjouis de la signature, sous l’égide de Lexbase et je salue notre ami commun Fabien Waechter, ici présent, de la convention liant le Conseil national des barreaux et le barreau du Sénégal. Cette Convention ouvre aux avocats sénégalais l’accès aux données juridiques contenues dans Lexbase. Elle enrichit en parallèle cette base de données des décisions rendues par les juridictions sénégalaises, ajoutant ainsi à la réalisation de ce travail en commun.

A terme, nous aurons tous ensemble, chers Bâtonniers, constitué une base unique au monde des données jurisprudentielles du droit continental, mise à la disposition des avocats que nous représentons et au service desquels nous agissons.

Le monde change vite et nous disposons désormais d’outils qui nous permettent de partager un droit que nous avons patiemment construit ensemble. Ce partage des données et des informations, cette diffusion du droit et de la jurisprudence sont également un gage de la qualité des décisions de justice à la construction desquelles nous participons avec nos juges et magistrats. Grâce à notre capacité de mutualiser nos efforts et nos expertises, notre profession se donne ainsi un rôle fondamental d’amélioration de la qualité de la justice de nos pays. Nous devons nous en féliciter.

La formation :

A cet égard, je salue également le lancement de l’école numérique OHADA, mise en œuvre grâce à la détermination du président de la Conférence des barreaux de l’OHADA, le Bâtonnier Daouda, et de ses partenaires que sont notamment Lexbase, l’Université de Bordeaux, l’école d’avocat Aliénor de Bordeaux et l’université de droit de Douala.

Je salue le bâtonnier HORRENBERGER avec lequel nous organisons la convention nationale des avocats à Bordeaux et Libourne au mois d’octobre prochain.

Ce dispositif, composé de module e-learning en droit OHADA, permettra à tous les avocats membres de la Conférence OHADA, par l’utilisation des nouvelles technologies, de se conformer aux obligations de formation continue, plus généralement à l’obligation de compétence et de qualité attendues de chacun d’entre nous.

C’est en effet, n’en doutons pas, dans la formation que réside en grande partie l’avenir de notre profession. Les compétences ainsi acquises sont l’assurance de la confiance que les justiciables et les pouvoirs publics nous accordent.

Elles sont le lien qui nous unit avec nos concitoyens.

Seuls des avocats, professionnels du droit qualifiés, seront en mesure de lutter contre nos nouveaux concurrents, non avocats, qui naissent dans la legaltech et viennent « secouer/déstabiliser » notre profession en pratiquant une politique tarifaire proche du dumping et sans garantie de qualité en proposant des services trompeurs à certains égards et dans tous les cas hors de tout système de contrôle nécessaire.

L’avenir de notre profession réside en effet dans notre capacité à réaffirmer notre professionnalisme, nos compétences et notre déontologie. Le développement de la Legaltech doit nous fait prendre conscience de certaines de nos faiblesses mais aussi de nos forces. C’est avec conscience, raison, esprit critique et volonté, mais sans complaisance, que nous devons tirer les leçons de cette mutation du marché du droit, nous adapter et rappeler sans cesse pourquoi notre profession, libre, indépendante et auto-régulée, est la plus à même de répondre aux besoins de justice de nos concitoyens et de nos entreprises.

Je veux souligner ici les efforts des bâtonniers car je sais que chacun d’entre vous en a fait une priorité de son bâtonnat. Ce sont des préoccupations que nous partageons.

La sécurité juridique :

Il en est ainsi également de l’implication de chacun d’entre vous dans cette construction et cette évolution en particulier de l’OHADA.

Modèle d’une intégration particulièrement aboutie sur les plans juridique et économique, l’OHADA apporte la sécurité juridique et la sécurisation de l’investissement, grâce à vos efforts conjugués.

Vous avez su, avec la création de l’OHADA, donner un élan et une vitalité à la région qui peut faire pâlir l’européen que je suis. Nous avons tellement à apprendre de cette réussite.

Nous connaissons actuellement des moments troubles en Europe. A l’heure où la Grande-Bretagne se retire de l’Union européenne, l’Afrique applaudit, et à juste titre, le retour du Maroc au sein de l’Union africaine. Le mouvement de désunion et de division en Europe auquel nous faisons face ne présage rien de très bon.

A cet égard, je tiens à saluer la création de la Conférence des barreaux des Etats membres de l’OHADA qui a célébré son premier anniversaire à Yaoundé en décembre 2016 à l’occasion du 31ème congrès de la CIB et quoi doit désormais se faire une place dans le paysage institutionnel de l’organisation.

Permettez-moi de saluer aussi les efforts que vous avez déployé au sein de l’espace UEMOA pour aboutir en Conseil des ministres à l’adoption du règlement N°5 relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d’avocat, du 25 septembre 2014, qui outre une déontologie commune qui est notre colonne vertébrale à tous, a consacré l’instrument qui m’est cher : l’acte contresigné par avocat.

Parce que l’avocat est un professionnel du droit, répondant à une stricte déontologie et à une discipline rigoureuse, parce que l’avocat est un rédacteur d’acte qui s’assure du consentement libre et éclairé des parties, de la validité de la convention et de sa pleine efficacité, les législateurs ne se sont pas trompés en accordant leur confiance à la profession d’avocat, en dépit de ses détracteurs jaloux ou craintifs de l’évolution.

L’acte d’avocat, garant de la sécurité juridique et atout majeur du droit continental en ce qu’il ajoute à la sécurité l’efficacité et la souplesse recherchées par le monde des affaires, a vocation à régir un grand nombre de relations contractuelles.

Sa valeur probante supérieure à l’acte sous seing privé, puisqu’il fait foi de l’écriture et de la signature des parties jusqu’à inscription de faux, le dote d’atouts que nous devons exploiter.

En France, le rôle dévolu depuis le 1er janvier 2017 à l’avocat dans nouvelle procédure de divorce par consentement mutuel par acte d’avocats en est une illustration parmi d’autres à venir. Le contrôle de l’accord de divorce auparavant opéré par le juge est maintenant confié aux seuls avocats qui s’assurent de la réalité de la volonté des époux, de la qualité de leur consentement ainsi que de la préservation des intérêts en cause et de l’équilibre de la convention.

Désormais, cette même marque de confiance de nos législateurs doit aller au-delà et je souhaite que nous nous mobilisions tous ensemble afin d’obtenir que la force exécutoire soit conférée à cet acte.

L’état de droit :

Il est également un autre sujet qui nous réunit, essentiel et dont je voulais vous parler aujourd’hui, celui du maintien de l’Etat de droit.

A l’occasion de la rentrée des Cours et tribunaux qui s’est récemment déroulée à Dakar sur le thème « les nouveaux droits dans la Constitution du Sénégal », j’ai pu lire, M. le Bâtonnier, votre combat pour la présence de l’avocat dès l’interpellation d’un citoyen par la justice, en toute circonstance, au nom du nécessaire respect des droits fondamentaux au premier rang desquels les droits de la défense. Nous ne pouvons que regretter la réponse des plus hautes autorités de votre pays qui souhaitent que des dérogations soient aménagées concernant les affaires de terrorisme et infractions connexes.

Il en est de même d’ailleurs en France.

Je ne pourrai malheureusement assister aux travaux que vous tiendrez demain sur cette question mais je souhaite qu’ils soient porteurs et appellent à la vigilance du plus grand nombre : n’oublions pas, pour un prétexte sécuritaire, les libertés fondamentales.

Trop nombreux sont en effet les gouvernements qui aujourd’hui, au nom de la lutte contre le terrorisme, promulguent des lois liberticides.

Notre pays en est devenu un exemple. Je le déplore.

A l’heure où l’Etat de droit semble reculer face aux menaces terroristes qui s’internationalisent et touchent toutes les sociétés, nous devons mener ce combat de front.

Protecteur des droits de la défense des administrés, l’avocat est le garant de l’existence d’une justice équitable dans un Etat démocratique. Rouage essentiel de la machine judiciaire, l’avocat doit pouvoir exercer sa fonction dès le début de toute procédure pour en assurer le bon déroulement.

Et parce qu’il a un rôle vital dans l’administration de la justice, les principes essentiels de notre profession doivent eux aussi être farouchement défendus. L’avocat ne peut remplir son rôle s’il n’est pas lui-même indépendant et libre, s’il n’est pas en mesure de protéger le secret professionnel qui le lie à son client, s’il n’a pas accès au dossier ou s’il ne peut s’exprimer librement.

N’est-ce pas la première mission de la justice que d’être accessible et équitable pour chacun et aux yeux de tous ? Nous ne devons pas nous laisser envahir par la passion, par la colère et la haine qui peuvent naître des événements tragiques qui nous ont touchés. Nier l’accès d’un individu à un avocat reviendrait à oublier qu’il existe pour tout individu le droit sacré d’être défendu, peu importent les raisons de sa poursuite. Passer outre ce droit essentiel signifierait abaisser un rempart contre une justice vengeresse qui priverait d’avocats ceux qu’elle juge indésirable.

En France, depuis les attentats de janvier 2015, les décrets et lois relatives à la lutte contre le terrorisme se sont multipliées. Mais, au-delà de la seule lutte contre le terrorisme, ce sont les garanties de notre procédure pénale qui sont an cause. Encore récemment, a été présenté un projet de loi relatif à la sécurité publique qui vise à inscrire dans le droit français le dispositif d’enquêteur anonyme, dispositif jusqu’à présent limité aux enquêtes en matière de terrorisme et qui pourrait être étendu par ce projet aux enquêtes relatives à des faits punis de 3 ans d’emprisonnement, c’est à dire la quasi-totalité des délits. Or l’anonymat de l’enquêteur avec l’anonymat du témoin, et peut être ensuite l’anonymat du juge comme certains le demandent, ne permettent pas de garantir les conditions élémentaires du procès équitable.

Les pouvoirs publics nous diront comment nous pouvons assurer de vrais droits de la défense en présence d’une enquête ouverte sur dénonciation d’un témoin anonyme, exercée par des policiers anonymes et dont les résultats seront jugés par des juges anonymes !

S’incarne ainsi un mouvement de banalisation des mécanismes présentés comme exceptionnels qui mettent en danger les fondements mêmes de la justice d’un pays démocratique. Nous devons sonner l’alarme face à ce mouvement. Tel est notre devoir. Telle est notre responsabilité.

Nous devons donc poursuivre nos actions et mettre le droit au service de la démocratie, du développement et de la croissance et encourager tout type de coopération régionale qui facilite, collectivement, la réalisation de ces objectifs.

Poursuivons notre travail commun. Enrichissons-le tous les jours.

La liberté n’a pas de prix.

Confrères, jeunes Confrères, vous qui êtes l’avenir de la profession, soyez universels, soyez audacieux, soyez conquérants.

Les temps présents et je le crains ceux qui viennent, nous démontrent, si nous l’avions oublié, que la liberté n’est jamais acquise – qu’elle doit être défendue chaque jour avec lucidité et autant d’énergie –

Nous avons ici la vocation de notre unité : l’humanisme est une valeur universelle.

Il nous appartient de le rappeler et de combattre sans relâche. Nous sommes ensemble forts autant que résolus.

Je vous remercie.

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