24 mars 2017

Etats généraux du droit de l'entreprise, 23 mars 2017, Auditorium Paris Centre Marceau

Retrouvez le discours de Pascal Eydoux en ouverture de la 7e édition des Etats généraux du droit de l'entreprise le 23 mars 2017 à l'Auditorium Paris Centre Marceau, intitulée "Soft Power : la créativité des avocats, source d'évolution du droit de l'entreprise".

Mes Chers Confrères,

Distingués invités,

Mesdames et Messieurs,

Je suis heureux de vous accueillir pour ces Etats généraux du droit de l’entreprise. Merci pour votre présence nombreuse et fidèle.

Les entreprises sont des acteurs majeurs, essentiels, de notre développement économique et social. La multiplication des échanges marchands permet ainsi de stimuler la croissance économique, d’améliorer le niveau de vie des populations et de faire naître des opportunités permettant de réduire la pauvreté.

Je n’envisage pas de développer ici un propos politique. Les temps actuels ne me permettraient qu’une approche au mieux dérisoire et au pire orgueilleuse.

Quoiqu’il en soit, la dynamique que les entreprises ont su et pu impulser est désormais soumise à un examen plus vigilant. La relation des entreprises avec leurs salariés et leur travail est observée de plus près. La volonté de rechercher de meilleures performances économiques est contrebalancée avec les coûts sociaux et environnementaux auxquels elle conduit. La mesure de la tension à laquelle les entreprises sont soumises par les exigences d’une rentabilité des capitaux à court terme est observée dans une approche critique voir même méfiante.

Cette situation comporte un retentissement sur le développement des entreprises et sur le lien de confiance que l’ensemble des acteurs sociaux peuvent avoir avec elles.

Il en est d’autant plus ainsi que depuis plusieurs années les autorités politiques, sous la pression sociale, dont la légitimité n’est pas en cause si l’on considère que l’entreprise joue ou doit jouer un rôle social destiné au développement personnel de chacun, ont multiplié des réformes d’ampleur faisant peser de nouvelles responsabilités, essentiellement d’ordre ou d’inspiration éthique, sur les entreprises (1).

Dans ce contexte, les avocats doivent apporter aux entreprises la connaissance et la maîtrise des enjeux pour leur permettre de s’adapter parfaitement à ces nouvelles exigences et à ces responsabilités (2).

1) De nouvelles responsabilités éthiques pèsent sur les entreprises

1.1. Nous devons nous affranchir d’une vision hexagonale pour envisager pleinement le mouvement qui impose de nouvelles responsabilités d’ordre éthique aux entreprises.

Ce que l’on qualifie habituellement de mondialisation ou de globalisation des échanges économiques donne naissance ou peut favoriser les violations des droits de l’homme ainsi que des atteintes parfois importantes à l’environnement pour lesquelles les entreprises et leurs dirigeants peuvent voir leur responsabilité sociale, pénale et/ou civile engagée.

Nul besoin de faire ici la liste complète de ces évènements qui n’épargnent aucun continent depuis l’Asie avec la catastrophe de Bhopal jusqu’à l’Afrique avec la pollution pétrolière du Delta du Niger.

Ces atteintes prennent une dimension particulière, dimension qui peut devenir tragique, dans les zones de conflits ou dans les Etats fragiles où se commettent des crimes importants au regard du droit international et des droits nationaux et dont les acteurs sont souvent financés par l’exploitation des ressources naturelles, comme cela a été mis en évidence par exemple lors du procès de Charles TAYLOR par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone.

L’ONU s’est emparée désormais de ces problématiques et a tenté d’y répondre avec les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme adoptés en juin 2011 sur la base des travaux réalisés sous la direction de John RUGGIE.

L’objectif de ces Principes directeurs est de clarifier les rôles et responsabilités des Etats et des entreprises en matière d’incidence sur les droits de l’homme.

1.2. Mais il n’y a pas que l’aspect Business & Human Rights quand on parle de responsabilité sociale des entreprises.

Plus près de nous, la notion de responsabilité sociale des entreprises s’est particulièrement développée ces dernières années en France : lutte contre le blanchiment, dispositifs anti-corruption, lanceurs d’alerte, réformes récentes introduites par la loi dite « Sapin II » sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique, pour ne prendre que ces exemples forcément limitatifs.

On veut ainsi promouvoir une économie éthique. Cette aspiration sociale et politique n’est pas illégitime.

1.3. Entendons-nous bien : il ne s’agit évidemment pas de stigmatiser le comportement des entreprises ou de jeter l’opprobre sur elles.

Il s’agit, bien au contraire, de les sensibiliser à des problématiques importantes relevant de leur responsabilité et de réfléchir avec elles et leurs avocats à leur positionnement et leurs actions dans un monde de droit et de responsabilité.

Les entreprises comprennent que la formule de Milton Friedman selon laquelle « la seule responsabilité sociale de l’entrepreneur est d’augmenter ses profits » (The New York Times Magazine, 13 septembre 1970) a vécu.

La pression, si l’on peut s’exprimer ainsi, ne vient pas que des autorités normatives étatiques.

L’exigence vient des clients des entreprises ainsi que de la société civile, des ONG.

L’exigence vient aussi des entreprises elles-mêmes qui prennent l’initiative d’adopter des recommandations, des codes de bonne conduite qui créent des attentes légitimes pour le public. En effet, la force de la soft law réside notamment dans le fait que sa violation ou une non-conformité est jugée par les marchés. Cet aspect dissuasif est une forme de contrôle ou d’autolimitation de l’action des entreprises. Voyez ce que l’on dit de la construction du mur entre les USA et le Mexique pour mesurer la question…

L’adoption de tels instruments les fait entrer dans un mouvement vertueux susceptible de leur donner un avantage compétitif sur le marché international.

Leur comportement étant observé tant en interne que par la société civile, les entreprises comprennent que ce qui est en jeu est simple : leur réputation, la solidité de leur développement et de leurs investissements, leur pérennité économique.

Elles doivent donc prendre la mesure des exigences liées à la RSE et aux nouvelles obligations éthiques qui pèsent sur elles. Elles doivent anticiper, s’organiser.

Les avocats sont là pour les y aider.

2) Le rôle de l’avocat : création de normes et de droit au service de l’entreprise

2.1. Cessons d’opposer, la plupart du temps de manière stérile et facile, les différents modes de production du droit qui peuvent encadrer l’économie ou influer sur le fonctionnement des entreprises, qu’il s’agisse de ce que l’on appelle la hard law (la loi) ou la soft law (autrement dit les mécanismes de régulation).

Les lieux de production du droit changent et évoluent. Nous quittons - ou avons quitté - un modèle dans lequel la loi, ou plus généralement la norme juridique, était l’apanage de l’Etat, pour entrer dans un modèle dans lequel la règle est de plus en plus celle du contrat.

Le droit ne s’exprime donc plus uniquement dans un rapport vertical descendant de l’Etat vers les citoyens et les sujets de droit tels que les entreprises. Le droit est de plus en plus marqué par une forte « horizontalisation » où le contrat devient la norme centrale pour les personnes physiques et morales. Nous passons ainsi à un modèle de société contractuelle dans laquelle les avocats y ont une place centrale en tant que professionnels du contrat. L’avocat crée la loi et le droit en créant le contrat.

Le développement des instruments relevant de la régulation, de la soft law, illustre également ce mouvement. L’évolution se réalisée pour l'essentiel au travers de l'autorégulation, des codes et des recommandations professionnelles davantage que par l'adoption de dispositions législatives ou réglementaires.

2.2. Dans ce contexte, nous sommes convaincus que le droit et la régulation des acteurs économiques ne sont pas les ennemis de l’économie et de la croissance des entreprises.

Le droit n’est pas une variable d’ajustement pour les entreprises et le monde des affaires. Le droit est un élément déterminant de leur stratégie et de la sécurisation de leurs activités définies avec les avocats qui sont à leurs côtés. Ainsi, le droit et la fonction juridique ne doivent pas être vécus comme un coût ou comme une charge pour l’entreprise, mais plutôt comme un investissement et un facteur de croissance.

Nous ne sommes pas des « acharnés » de la norme : plus de droit n’est pas forcément synonyme d’une meilleure qualité du droit. Ce qui compte c’est la sécurité juridique !

Elle est apportée à la fois par des règles adaptées et des professionnels capables, avec les instruments juridiques à leur disposition, de sécuriser les opérations ou les transactions de leurs clients.

En termes de croissance, s’engager dans la voie de la RSE n’est pas un handicap. Une étude de France Stratégie publiée en janvier 2016 sur la responsabilité sociale des entreprises et la compétitivité a montré que la RSE procure un gain de performance en moyenne de l’ordre de 13 % par rapport aux entreprises qui ne l’introduisent pas (toutes choses égales par ailleurs), en particulier quand elle relève de l’initiative volontaire et non de mesures contraignantes.

2.3. Cette sécurité juridique tient aussi au fait que l’avocat, dans et avec l’entreprise, aide à mettre en place des outils juridiques du développement, à anticiper, à éviter ou à limiter les risques.

Cette vision stratégique qu’apporte l’avocat va de la création de l’entreprise à ses projets de croissance interne ou externe (création d’une filiale ou d’une succursale, acquisition ou cession de titres sociaux, garantie d’actif et de passif, etc.), en passant par l’ensemble de son environnement contractuel.

Dans ce cadre, le rôle des avocats et des conseils juridiques des entreprises est essentiel d’un point de vue préventif, par l’identification des risques encourus, et curatif dans le cas de poursuites devant des juridictions nationales ou internationales. Ils doivent alors maîtriser des sources et des problèmes juridiques complexes et multiples.

2.4. En outre, dès lors que les instruments de régulation font appel à l’éthique, l’avocat peut naturellement apporter, en plus de sa connaissance du droit, son expérience de la déontologie et de l’éthique qui sont ses marqueurs et son avantage concurrentiel dans un monde où l’un des maître-mots est la confiance.

2.5. Enfin, l’exigence d’investir le terrain de la régulation et de la soft law participe de l’attractivité de notre droit et de notre système juridique ainsi que de la confiance que l’on peut avoir dans nos entreprises et notre économie.

L’action des entreprises et des avocats sur le terrain de la régulation participe ainsi, sans conteste, de l’attractivité et de la promotion internationale de notre modèle juridique.

Conclusion

Les meilleures qualités d’un juriste, et a fortiori d’un avocat, sont son imagination et sa créativité.

Ces qualités lui permettent, d’une part, de trouver la voie juste dans le paysage normatif formé de la hard law et, d’autre part, d’élaborer avec et pour les entreprises les instruments de soft law qui leur sont parfaitement adaptés.

Je forme le vœu que cette journée permette de ne pas douter que l’avocat est bien au cœur de l’économie et de sa régulation et qu’elle montre ce que notre profession et le droit qu’elle crée pour les entreprises peuvent leur apporter en termes de croissance et de sécurité pour leur activité.

Je vous souhaite d’excellents et fructueux travaux.

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