16 janvier 2023

Premier bilan pour les cours criminelles départementales

Libertés et droits de l'homme

Lors de l’Assemblée générale du 13 décembre 2023, le Conseil national des barreaux s’est positionné à l’unanimité, à l’instar de nombreux acteurs publics, contre les cours criminelles départementales qui représentent un danger pour la démocratie judiciaire et l’oralité des débats.

Introduite à titre expérimental par l’article 63 de la loi de programmation de la justice du 23 mars 2019, la généralisation de la cour criminelle départementale sonne en effet le glas du jury populaire pour un nombre important d’affaires criminelles jusqu’ici jugées par la cour d’assises.

Compétente pour juger des personnes majeures accusées d'un crime puni de 15 ou 20 ans de réclusion (viols, les coups mortels, les vols à main armée, le proxénétisme aggravé, l'esclavagisme) lorsque l'état de récidive légale n'est pas retenu, elle est composée de cinq magistrats professionnels, deux d'entre eux pouvant des magistrats honoraires, des avocats honoraires ou exercer leurs fonctions à titre temporaire. Les crimes concernés sont plus particulièrement les. De fait, ce sont surtout quasi exclusivement les affaires de viols que les CCD expérimentales ont eu à connaître au cours de l’expérimentation.

Les cours criminelles départementales, juridictions criminelles sans jurés ont été expérimentées d’abord dans sept départements à partir d’avril 2019, puis dans deux et six départements supplémentaires, à compter de mars, juin et juillet 2020, soit jusqu’alors dans 15 départements au total.

Sans attendre tous les enseignements de cette expérimentation, elles ont finalement été généralisées à tout le territoire national à compter du 1er janvier 2023 par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.

Constitué par arrêté du garde des Sceaux, ministre de la Justice, en date du 14 avril 2022 pris en application du décret n°2022-16 du 7 janvier 2022, le Comité d’évaluation et de suivi de la cour criminelle départementale présidé par M. Christian Pers, conseiller honoraire de la Cour de cassation, n’a rendu son rapport sur l’expérimentation qu’en octobre 2022, seulement deux mois avant l’entrée en vigueur de la généralisation.

Bien que le rapport donne à la première lecture une image favorable de la cour criminelle départementale, une lecture approfondie fait apparaître un bilan fortement discutable et fortement discuté par les acteurs de la justice pénale.

En premier lieu, la méthodologie suivie est discutable : le rapport ne comprend pas d’annexes sur les auditions effectuées (les représentants de quinze juridictions et des différents barreaux de ressort des CCD ayant expérimentés n’ont manifestement pas tous été entendus), l’étude d’impact n’est pas exhaustive et les chiffres statistiques pertinents ne sont pas donnés pour conduire à une analyse complète et scientifique sur le sujet.

En second lieu, les conclusions du rapport sont soit inabouties, soit paradoxales de telle sorte qu’il n’est pas possible de tirer de l’expérimentation un bilan positif. Ainsi, les objectifs fixés aux cours criminelles départementales, à savoir gagner du temps, faires des économies financières et éviter la correctionnalisation des viols n’ont pas pu être vérifiés efficacement.

Malgré cette absence d’étude complète, le rapport prône l’extension de la compétence des cours criminelles. Cette extension souhaitée par le comité est par ailleurs paradoxale avec l’augmentation des moyens humains et financiers qu’il juge nécessaire pour assurer le bon fonctionnement des cours criminelles.

De nombreuses critiques se sont multipliées depuis la publication du rapport sans que cela n’est affecté l’agenda de la généralisation.

Lors de l’assemblée générale du 13 janvier les rapporteurs Jérôme Dirou et Arnaud De Saint Rémy ont ainsi rappelé que la généralisation des cours criminelles a nécessairement comme effet néfaste un recul de la démocratie judiciaire permise par la présence des jurés et pourrait, à terme, compromettre la qualité des débats par la disparition de l’oralité. Le jury populaire est le symbole de la démocratie participative dans l’œuvre de justice. C’est un outil de citoyenneté. A l’heure où la loi ambitionnait de restaurer la confiance du peuple français en sa justice, exclure le peuple de l’œuvre de justice va paradoxalement à l’opposé de l’ambition du législateur. Sans jury populaire, le peuple se sentira exclu de la plus symbolique des institutions judiciaires où il pouvait encore jouer un rôle. Etendre la compétence matérielle des CCD éloignera un peu plus le peuple de son rôle. Loin d’être une marque de confiance, c’est la matérialité d’une véritable défiance du pouvoir politique à son égard.

C’est pourquoi le Conseil national des barreaux a voté une résolution déplorant que le Gouvernement persiste à maintenir leur généralisation anticipée dès 2021 à l’ensemble du territoire national, à compter du 1er janvier 2023 et demandant instamment l’arrêt de la généralisation des cours criminelles départementales. Le Conseil national des barreau s’associe à tout projet ou proposition de loi tendant à préserver le jury populaire en cour d’assises.

Haut de page