La loi n° 2024-233 du 18 mars 2024 visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales a été publiée au Journal officiel du 19 mars 2024. Elle est venue élargir le mécanisme de suspension provisoire de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale créé par la loi du 28 décembre 2019 dans le cadre des procédures pénales et rendre plus systématique le prononcé du retrait de l’autorité parentale par les juridictions pénales en cas de crime commis sur la personne de l’enfant ou de l’autre parent ou d’agression sexuelle incestueuse sur l’enfant.
Genèse du texte
L'article 378 du Code civil permet depuis longtemps aux juridictions pénales de se prononcer sur le retrait de l'autorité parentale en cas de condamnation d'un parent comme auteur, coauteur ou complice d'un crime ou délit commis sur la personne de son enfant, ou comme coauteur ou complice d'un crime ou délit commis par son enfant. Depuis 2010 et 2020, cette prérogative du juge pénal a été étendue aux cas de crimes et délits sur la personne de l'autre parent et leurs répercussions éventuelles sur les enfants du couple. Mais c'est à partir du Grenelle des violences conjugales puis la crise sanitaire, ayant permis l'émergence du mouvement #MeToo sur l'inceste et son caractère massif dans l'Eglise, que le législateur a accentué le caractère répressif du dispositif ayant abouti à la loi de 2019 puis à la mise en place de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE).
Près de 15 mois de travail législatif
Inspiré en partie par les préconisations de la CIIVISE, dévoilant un dispositif peu effectif, le projet de loi déposé le 15 décembre 2022 est donc venu proposer d'élargir, dans sa version initiale, le mécanisme de suspension provisoire de plein droit de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement aux cas de poursuites ou condamnations pour violences provoquant une incapacité de travail (ITT) de plus de huit jours sur l'autre parent et de viol ou d'agression sexuelle incestueux sur l'enfant (article 378-2 du Code civil). Il prévoyait également un « retrait automatique » de l'autorité parentale en cas de condamnation d'un parent pour ces mêmes infractions (article 378 du Code civil).
Les observations portées par le CNB
Le CNB a approuvé l'objectif général du texte de protéger davantage les enfants victimes de violences intrafamiliales en visant à rendre plus efficace le dispositif mis en place. Il ambitionne en effet de corriger une certaine frilosité des juridictions pénales à aborder systématiquement la question civile du retrait de l'autorité parentale lorsqu'elles statuent sur une infraction d'une particulière gravité commise par un parent sur son enfant ou sur l'autre parent. Cependant, il a émis des réserves importantes relatives aux droits de la défense et appelé à la plus grande vigilance sur l'économie générale du texte présentant les risques suivants :
- Priver les parties d'un débat contradictoire, le CNB a rappelé ses inquiétudes concernant tout d'abord l'instauration d'un dispositif de suspension ou de retrait automatique de l'autorité parentale par le juge celui-ci devant garder son pouvoir d'appréciation et préserver les intérêts des enfants.
- Porter atteinte aux engagements conventionnels de la France et par conséquent se confronter à une inconstitutionnalité du dispositif d'automaticité et de non-respect de la vie privée et familiale.
Un texte final visant au respect des grands principes et équilibres juridiques du droit civil et pénal
Comme souhaité par le CNB, le texte final réaffirme son attachement à ce qu'un juge intervienne pour apprécier in concreto l'intérêt de l'enfant et se prononcer au regard de sa situation prise isolément :
- Il évince également la suspension automatique le temps du traitement de l'affaire pénale, disproportionnée au regard de la présomption d'innocence et du droit des parties, enfants et parents, de mener une vie familiale normale ;
- Il réserve l'automaticité aux cas les plus graves en élargissant la suspension provisoire de plein droit, actuelle, aux crimes ou agressions sexuelles incestueuses sur l'enfant ;
- Il retire le caractère de plein droit aux condamnations pour violences volontaires ayant entraîné une ITT de plus de huit jours, lorsque l'enfant était présent au moment des faits. Aucun fondement juridique ne justifie, en effet, de ne pas y adjoindre les violences volontaires sur l'enfant. En outre, le dispositif proposé est surabondant, les juridictions devant déjà se prononcer sur l'autorité parentale en cas de condamnation au titre de cette infraction ;
- Le caractère provisoire de cette suspension reste inchangé, pour une durée maximale de 6 mois, jusqu'à la décision du JAF qui doit être saisi par le procureur de la République dans les huit jours.