24 octobre 2017

Discours de Nicole Belloubet, garde des Sceaux ministre de la Justice lors de la Convention nationale des avocats, 19 octobre 2017, Bordeaux

1. Introduction

« Placé pour le bien du public entre le tumulte des passions humaines et le trône de la justice » c’est ainsi que le Chancelier d’Aguesseau parlait en 1693 de l’avocat, en termes presque sacrés.

En écho, presque 50 ans après, en 1741, Pierre Biarnoy de Merville, avocat aux Parlements de Rouen et de Paris, publiait les « Règles pour former un avocat ».

Après avoir énoncé les vertus attendues de l’avocat, à savoir, la modération, la loyauté, le désintéressement, la probité, la vérité, « qui impose l’aversion du mensonge », Pierre Biarnoy de Merville ajoutait, qu’« il n’est pas assez pour être avocat d’avoir le talent, il faut encore avoir une belle âme » (Pierre Biarnoy de Merville, « Règles pour former un avocat », Paris, 1741).

Le rappel de ces qualités immuables est important. C’est certainement en prenant appui sur ces valeurs que l’avocat pourra relever avec succès les nouveaux défis qui se présentent à lui.

Ces vertus, je crois pouvoir affirmer, sans trahir votre pensée Monsieur le Président, qu’elles correspondent aux qualités que vous avez énumérées à l’instant, avec le vocabulaire de notre époque - déontologie, indépendance, diversité et ouverture - et qui rendent votre profession attractive et solide pour affronter l’avenir.

Biarnoy de Merville parlait lui avec un lyrisme, qui peut nous paraitre un brin désuet, de « belle âme ».

« La belle âme », c’est peut-être ce qui s’incarne dans une forme de don et de compréhension de l’autre, « dans un échange d’esprit à esprit », selon la belle expression de François Cheng (« De l’Ame », 2017).

Echanges précisément, c’est ce dont il est question ici, pour la 7ème édition de votre convention nationale des avocats dont le thème, cette année, est : « Economie, numérique et territoires ».

Organisée sur 4 jours, la convention a débuté hier, avec, indique votre programme, des animations sportives l’après-midi (course de 10 km) et une soirée de bienvenue « vins et terroirs » au Palais de la Bourse.

Je comprends donc que, après cette mise en condition physique et gustative, c’est aujourd’hui que commencent les choses dites sérieuses, c’est à dire les débats et réflexions entre intervenants et participants, répartis sur plus de 80 ateliers. J’approuve pleinement cette scansion de votre temps : La recherche de l’exercice physique et sportif, prélude au déploiement des activités de l’esprit, est une méthode éprouvée qui remonte aux préceptes de l’Antiquité grecque.

C’est un signe encourageant pour la qualité à venir de vos échanges, qualité corrélée au nombre et à la notoriété des intervenants ainsi qu’au choix des thèmes des ateliers.

Certains sujets plus que d’autres ont retenu particulièrement mon attention.

Je pense à « l’avocat au cœur de la nouvelle économie », « quels avocats sur quels territoires pour 2030 ? », « la défense face aux évolutions de la procédure pénale », « la réforme de la procédure civile (Cour d’appel, TGI) », « l’avocat stratège de la justice du XXIème siècle », « Etats généraux de l’aide juridique », ou encore « la prescription en matière pénale ».

Je suis évidemment très intéressée par une restitution de ces travaux.

Ces réflexions seront très utiles et stimulantes pour alimenter le travail que j’ai engagé autour des 5 chantiers de transformation de la justice, sur lesquels je reviendrais dans quelques instants.

Je ne vais pas énumérer ici tous les autres ateliers qui sont aussi très importants. Ils identifient et caractérisent les mutations actuelles et à venir de votre profession.

Dans votre éditorial qui accompagne le programme de la convention, vous avez placé, Monsieur le Président, l’ambition de votre profession à la hauteur des transformations à l’œuvre.

Vous vous êtes adressé à vos consœurs et confrères pour leur dire qu’« [ils vivent] une période propice à la transformation profonde de [leur] exercice professionnel qui [les] conduit à imaginer de nouvelles stratégies de développement, de nouveaux modèles économiques, de nouvelles modalités d’exercice ».

Le ministère de la justice est déterminé à jouer pleinement son rôle et à vous accompagner dans cette période de mutations.

2. Le rôle des avocats dans la modernisation de la Justice

L’avocat est en effet un acteur clé du fonctionnement de la justice et de sa modernisation.

Je le perçois très concrètement à la lumière de deux éléments : la confiance et la qualité.

En effet, la confiance du justiciable, mais également celle de l’Etat ou du magistrat, à l’égard de votre profession, repose sur la qualité du service qu’ils savent pouvoir attendre de vous, avant, pendant et en dehors du procès.

Et lorsque le recours au juge devient nécessaire, la qualité du travail de l’avocat impacte corrélativement la qualité de la décision rendue.

Face aux évolutions économiques, sociétales et législatives, qui ont bousculé, et parfois bouleversé, les conditions dans lesquelles vous exercez votre mission, vous avez su les accepter et les accompagner, mais surtout maintenir un haut niveau de confiance grâce aux qualités propres de votre profession : une incroyable capacité d’adaptation, individuelle et collective et un grand sens de l’innovation.

2.1. Le numérique

Il en a été ainsi face au numérique. Avec quelques autres professions du droit, vous avez très tôt anticipé la révolution numérique à l’œuvre.

Vous avez parlé il y a quelques instants, Monsieur le Président, de l’acte d’avocat 100% électronique.

Je dois vous avouez que j’aime beaucoup cette expression, elle est très signifiante, et j’espère que l’on pourra ainsi parler dans quelque temps d’acte judiciaire 100% électronique.

L’avocat est avant tout un juriste dans l’exercice de ses missions. Mais il est aussi un entrepreneur dans l’organisation de son activité.

« Quand les événements nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs » disait Cocteau.

Au lieu de subir les effets des nouveaux usages numériques, vous vous êtes mobilisés pour proposer des services efficaces et innovants, adaptés à la demande de vos clients, des justiciables et des usagers d'Internet.

C’est une vraie révolution dans la pratique judiciaire et dans ce qu’il convient d’appeler maintenant le « marché du droit ». La legaltech connait ses premiers développements, les premières start-ups françaises du droit émergent.

Je souhaite avancer sur ces sujets de manière concertée et constructive avec tous les acteurs de cet éco système, les professionnels du droit et donc, les avocats, en particulier sur le big data et les enjeux de l’ouverture des données de jurisprudence.

La loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique institue une mise à disposition du public de l’ensemble des décisions rendues par les juridictions des ordres judiciaire et administratif.

Je mesure bien l’intérêt pour le justiciable du développement de l’open data et je vois émerger son corollaire, la justice dite prédictive bien que je me méfie de ce qualificatif à coloration orwelienne. J’en perçois également les conséquences en termes d’augmentation des tentatives de conciliations, de médiations et de conventions de procédure participative.

En effet, un justiciable en capacité de connaître l’issue de son litige grâce à l’open data, peut avoir intérêt à rechercher une solution amiable ou négociée plutôt que de se voir imposer une décision par le tribunal.

Nous entrons ainsi dans une nouvelle ère qui est celle de la justice prédictive, ou pour le dire d’une manière plus prudente, d’une capacité inédite d’analyse de données bientôt ouvertes par l’open data.

Je ne pense pas pour ma part que le droit soit pure prédiction ou prophétie : cette justice-là n’est pas celle des femmes et des hommes.

Cependant, la prévisibilité du droit est une exigence puissante de notre Etat de droit et une composante de la confiance que nos concitoyens pourront y placer.

Dans cette optique, l’open data peut être un véritable outil démocratique de connaissance du droit positif, de ce que nos juges décident en pratique.

Tous ici, opérateurs économiques, justiciables, avocats pourront bénéficier des ressources de l’intelligence artificielle, capable d’analyser des données considérables pour en tirer la probabilité d’une solution.

Cette perspective ne doit pas nous effrayer.

Une mission d’étude et de préfiguration a été confiée sur ces sujets au professeur Loïc Cadiet. Il me remettra d’ici la fin de ce mois des propositions relatives à la définition d’un cadre juridique de mise à disposition des décisions, propre à assurer l’équilibre entre la logique d’ouverture des données au public et l’impératif de protection de la vie privée des personnes.

Le CNB est naturellement associé à ces travaux et a souligné les enjeux cruciaux que revêtait l’open data pour votre profession.

J’observe par ailleurs que, par rapport aux acteurs qui proposent des services juridiques sur Internet, vous avez compris que votre activité présentait plusieurs avantages concurrentiels forts : votre expertise juridique, votre expérience du contentieux, de la procédure judiciaire comme du règlement à l’amiable et de la médiation, votre déontologie et votre secret professionnel.

Les instances représentatives de la profession valorisent ainsi la spécificité mais aussi les talents, l’audace, l’esprit d’entreprise et l’innovation.

Le prix de l’innovation remis par l’Incubateur du barreau de Paris en est l’un des exemples, tout comme le prix qui sera décerné ce vendredi dans le cadre de la deuxième édition du concours « projets innovants » et dont les cinq finalistes incarnent pleinement le dynamisme dont votre profession sait faire preuve.

Il faut d’ailleurs reconnaître que vous êtes, sur le terrain, depuis bientôt 10 ans, la cheville ouvrière de la communication électronique avec les juridictions.

La profession a tout de suite compris de l’intérêt qualitatif que présentaient pour son activité professionnelle l’informatique, puis la communication électronique et aujourd’hui la dématérialisation des échanges : gain de temps, de papier, de place, immédiateté des échanges, puissance de l’ubiquité.

Vous vous êtes ainsi emparés de la dématérialisation des procédures qui permet de recentrer l’activité des professionnels du droit sur les échanges de fond, au profit de la qualité de l’œuvre de justice.

Cet avènement de l’ère numérique dans laquelle vous êtes entrés de plein pied s’est accompagné de mutations profondes au sein inévitablement des territoires.

2.2. La réforme territoriale

Je dois saluer ici les efforts qui ont été les vôtres pour vous adapter aux changements induits dans les années 2008/2010 par la fermeture de certains tribunaux. La réorganisation des barreaux a entraîné des difficultés que vous avez su gérer puis surmonter, au quotidien : inscriptions aux RPVA, intégration de nouveaux usages professionnels, notamment concernant la mise en état, harmonisation des pratiques. Vous avez su ainsi reconsidérer la question des territoires. Mais je voudrai ici le dire d’emblée, je n’afficherai ni cet objectif, ni cette manière de faire. J’ai pour la Justice, une autre vision et une autre ambition.

Plus récemment, la mobilité des avocats a été accrue par l’ouverture de la postulation à l’ensemble des tribunaux de grande instance du ressort de la cour d’appel.

Elle vient renforcer la nécessité de pouvoir échanger de manière fluide et instantanée avec les justiciables, les juridictions et entre avocats.

2.3. La loi Macron

Sur le plan économique, la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques du 6 août 2015 a ouvert de nouvelles perspectives dans l’exercice de la profession d’avocat.

Si elle a généré de nombreuses réticences au sein des professions du droit, vous avez su y saisir les opportunités économiques qu’elle offrait.

Désormais, l’avocat peut choisir la forme sociale la plus adaptée à son activité, décider d’exercer son activité dans plusieurs structures, y compris en s’associant avec des partenaires d’exercice issus d’autres professions du droit tels que les notaires, les avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, les commissaires-priseurs judiciaires, les huissiers de justice, les administrateurs judiciaires, les mandataires judiciaires, les conseils en propriété industrielle et les experts-comptables.

Ces nouveaux modes d’exercice permettent de mutualiser les moyens et les outils, notamment numériques, d’accroître les possibilités d’investissement, de proposer une offre globale de services, complète et de qualité, pour répondre au mieux aux besoins du justiciable.

Qualité donc, mais confiance aussi : la création de ces SPPP est une opportunité pour renouveler l’attachement aux règles déontologiques de votre profession en matière de conflits d’intérêts et de secret professionnel.

C’est dans le même objectif de confiance que la loi du 6 août 2015 a généralisé la convention d’honoraires conclue entre l’avocat et son client.

Cette information ne peut que renforcer la transparence de la relation entre l’avocat et son client en garantissant la prévisibilité des honoraires et ce dans l’intérêt de chacun.

Ces évolutions économiques constituent autant de ressources pour la conquête de nouveaux territoires, notamment européens, puisque des structures de ce type existent en Allemagne, en Italie, en Espagne et au Royaume-Uni.

Elles sont la traduction du dynamisme des avocats français, premiers ambassadeurs de la culture juridique française à l’étranger.

Votre profession dispose ainsi aujourd’hui d’opportunités remarquables pour accroître la qualité de ses prestations et renforcer sa présence auprès du justiciable.

L’Etat est pleinement conscient ces atouts et, en conséquence, de la confiance qu’il peut placer dans votre profession.

2.4. La réforme du divorce par consentement mutuel

Si les évolutions, que vous avez connues sont liées à la présence du numérique, aux nouvelles règles d’organisation de votre profession, elles découlent ayussi de nouveautés procédurales plus spécifiques.

Le législateur vous a ainsi placé, avec la loi de modernisation de la justice du 21ème siècle, au centre de la réforme du divorce par consentement mutuel.

Celui-ci est dorénavant déjudiciarisé puisqu’il repose sur un accord que seuls les avocats rendent possible.

Il y en a encore très peu d’éléments chiffrés mais en comparant l'activité des tribunaux de grande instance, on observe qu'entre les 5 premiers mois de l'année 2016 et les 5 premiers mois de l'année 2017, la diminution du nombre de demandes de divorce introduites devant les TGI est de 38 %.

Cette diminution concerne exclusivement les divorces par consentement mutuel sans augmentation corollaire significative du nombre de divorces contentieux.

Je salue ici l’initiative du barreau de Lille qui, sous l’impulsion de son bâtonnier, a créé sur son site une offre en ligne d’avocats spécialisés dans le domaine du divorce par consentement mutuel : reussirsondivorce.fr.

Cette réforme assure une véritable promotion de l'acte contresigné par avocat.

2.5. La question de l’existence de rentes

Je n'ignore pas que la profession d'avocat souhaite proposer les services les plus étendus possibles à ses clients, notamment par cet outil encore récent qu'est l'acte contresigné par avocat.

A ce propos M. le Président, vous avez évoqué la rente dont bénéficieraient d'autres professions. Je ne peux bien entendu vous rejoindre sur ce point.

La création de structures interprofessionnelles devrait permettre de répondre au souhait légitime d’extension de vos compétences, sans supprimer les spécificités de chaque profession.

L'avocat dispose, aux termes de la loi de 1971, du monopole de l'assistance et de la représentation en justice lorsque cette représentation est obligatoire.

Les officiers publics et ministériels ont d'autres monopoles. A des monopoles différents répondent des statuts différents.

Je pense ne pas me tromper en affirmant que l'avocat est profondément attaché à son indépendance vis-à-vis de l'Etat, là où les officiers publics et ministériels acceptent et assument la tutelle de l’Etat en contrepartie de la délégation d'exercice de l'autorité publique dont ils bénéficient.

L'avenir nous dira si la grande profession du droit que vous appelez de vos vœux se concrétisera. Personne ne peut prédire ce que sera la profession d’avocat dans dix ans.

Dans l’immédiat, la création de l’interprofessionnalité d’exercice est une autre démonstration de la confiance que le législateur place dans votre profession, puisqu’elle permet à l’avocat d’exercer main dans la main, en partageant les clients, les gains et les pertes, avec notamment des professionnels dépositaires de l’autorité publique.

Quoi qu’il en soit, face à ces mutations qui continueront de modifier vos pratiques, votre rapport aux justiciables, et les relations entre les professionnels de justice, je souhaite aujourd’hui vous assurer que le ministère de la justice est, et sera, particulièrement soucieux de préserver la place qui est la vôtre dans le domaine de l’accès au droit, et au juge.

En effet, dans un contexte de développement de sites et de plateformes comportant une dimension d’intermédiation et de mise en relation des consommateurs avec des fournisseurs/prestataires ou intermédiaires dans le domaine du droit, la réglementation de la consultation juridique et de la rédaction d’actes sous seing et le monopole qui vous est conféré pour l’assistance et de la représentation en justice doivent être préservés.

Comme je l’ai indiqué précédemment, l’avocat bénéfice de l’expertise, des règles déontologiques et du secret professionnel qui constituent à la fois des atouts concurrentiels et un gage de confiance et de qualité pour les justiciables comme pour les pouvoirs publics.

La profession d’avocat doit conserver ces atouts.

L’avocat sait mesurer la qualité d’un montage juridique, la viabilité d’un contrat, les concessions réciproques d’une transaction, les chances et les risques d’un procès et le meilleur moyen de parvenir au résultat recherché, celui qui donnera la plus grande satisfaction à son client.

De nouveaux outils numériques vont encore l’y aider.

Je tiens ici à le souligner avec force. Ces nouvelles capacités d’analyse ne remplaceront pas l’art juridique, c’est-à-dire la capacité du juriste à identifier les faits pertinents, à les qualifier, à déterminer la loi applicable, à réaliser le syllogisme, bref à forger les arguments qui permettent d’entrer en négociation et à défaut, d’agir en justice pour convaincre le juge.

L’open data viendra compléter l’analyse, l’étayer, donnera des éléments de comparaison, permettra de mieux évaluer les chances de succès des différentes approches possibles d’un dossier.

Ce sera un nouvel outil de connaissance du droit et de la jurisprudence au service de l’avocat mais il ne construira pas le raisonnement juridique à la place de l’avocat.

2.6. La formation

Pour accompagner la transition déjà engagée, le ministère de la justice est prêt, également, à poursuivre, avec vous, une réflexion sur la réforme de la formation initiale et continue.

Elle devra sans doute s’orienter vers une plus grande professionnalisation, en intégrant des aspects pratiques importants.

Il existe aujourd’hui des initiatives sur le terrain, comme les cliniques du droit ou encore la structure conventionnée expérimentée à Lyon permettant d’allier formation et accès au droit, qui seront une source de réflexion riche et précieuse.

La formation devra également préparer les avocats de demain à exercer dans un monde nouveau où ils devront être les acteurs essentiels de l’accès au droit et des chefs d’entreprises aguerris. Ces avancées doivent se faire en concertation.

Le numérique n’exclut pas le dialogue et l’économie ne s’oppose pas à la qualité du service rendu.

Les transformations à l’œuvre doivent être inclusives : que l’on parle du juge ou de l’avocat, le numérique ne vise pas à éloigner mais à rapprocher.

De même, la concurrence oblige au renforcement de la qualité de la prestation, en matière de conseil juridique ou de défense devant les juridictions.

C’est dans cet esprit de partenariat et de concertation que nous devons aborder, ensemble, les défis numériques, économiques et territoriaux qui s’imposent désormais à notre système judiciaire.

3. Mes chantiers de transformation de la justice

J’ai dévoilé il y a 10 jours maintenant les 5 chantiers de la Justice. Vous les connaissez et il n’est pas nécessaire ici d’y revenir dans le détail.

Quelques observations cependant à destination des avocats que vous êtes et qui montrent la prise en compte de vos préoccupations dans ces chantiers.

Ces travaux engageront un vaste mouvement de dématérialisation, de simplification et de d’adaptation de notre organisation de la justice.

Ils demanderont l’effort et la participation de tous les métiers de justice. Je forme le vœu que vous en soyez l’un des maîtres d’œuvre.

C’est la raison pour laquelle les avocats sont brillamment représentés parmi les chefs de file et les membres des groupes de travail constitués :

Franck Natali, chef de file du chantier de l’amélioration et de la simplification pénale, Dominique Raimbourg et Philippe Houillon, avocats et anciens députés, chefs de file du chantier relatif à l’adaptation de l’organisation judiciaire, Julia Minkowski, chef de file du chantier relatif au sens et à l’efficacité des peines, et enfin Patrick Ledonne, membre du groupe de travail chargé de la simplification de la procédure civile.

Les cinq chantiers lancés intéressent les avocats et les thèmes abordés à l’occasion de votre convention nationale.

3.1. La transformation numérique

A déjà été engagée avec le projet « Portalis ».

Elle doit se renforcer pour faire de la dématérialisation complète des procédures une réalité, de la saisine de la juridiction à l’exécution du jugement, en passant par l’organisation des modes amiables de résolution des différends.

Chacun doit y prendre sa part, les juridictions comme les avocats, même si force est de constater que c’est plutôt à l’institution judiciaire de se mettre au diapason technologique en terme de capacité des serveurs, de fluidité du réseau, de signature électronique, de notification dématérialisée.

C’est l’objet du chantier de transformation numérique que j’ai lancé. Par-delà la technique, la sécurité juridique constitue un impératif.

La communication électronique doit être sûre pour les avocats, pour les juridictions et, in fine, pour les justiciables. Elle est l’étalon de la procédure de demain.

La Chancellerie est donc particulièrement soucieuse que le cadre juridique de la dématérialisation soit renforcé et rendu plus lisible pour tout un chacun.

Le temps de l’expérimentation est terminé, il faut passer au temps de la normalisation. Ce nouveau standard, c’est ensemble que nous le construirons.

Enfin, je reste particulièrement vigilante sur le fait que nos concitoyens les plus vulnérables ne restent pas à l’écart des institutions et plus précisément du service public de la justice à cause du numérique.

La fracture numérique existe, c’est incontestable. Et ce n’est plus supportable.

Le service public doit s’attacher à combler cette fracture, pour mettre à disposition de nos concitoyens un accès dématérialisé et facilité aux juridictions. Ce sera le rôle du SAUJ.

Le numérique ne doit pas déshumaniser, il doit rapprocher.

Une mise en état numérique ne doit pas mettre les avocats à distance du juge. Elle doit permettre de gagner du temps pour qu’il puisse se consacrer à l’essentiel : tout d’abord une construction intellectuelle du dossier de qualité et un temps d’audience restauré mais efficace, y compris, le cas échéant, par visioconférence.

C’est à cette condition que la justice, tout en s’inscrivant résolument dans la modernité, conservera son visage humain et gardera la confiance du peuple français au nom duquel elle est rendue.

Bien que ce mécanisme de transformation soit global, les chantiers ont aussi pour objectifs la simplification et l’efficacité.

3.2. La simplification de la procédure civile

S’agissant d’abord de la simplification de la procédure civile, je suis soucieuse que la justice civile dispose d’un cadre processuel qui permette de relever le défi des transformations à venir.

Les règles de procédure ont une portée concrète, matérielle, aussi bien pour les justiciables que pour les professions judiciaires.

Elles déterminent l’organisation des juridictions, les méthodes de travail et le processus d’élaboration et d’exécution de la décision.

Elles ont enfin un lien étroit avec l’organisation des professions, leur implantation sur le territoire et leur modèle d’activité économique.

Tous les sujets pourront être abordés. Les juridictions ont ainsi été rendues destinataires de questionnaires comportant des interrogations sans tabou. J’en veux pour illustration quelques-unes des questions posées aux magistrats : doit-on faire de l’assignation le mode unique de saisine d’une juridiction ? Toute action en justice doit-elle être précédée, à peine d’irrecevabilité, d’une tentative de règlement amiable du litige ? vers quels mécanismes de déjudiciarisation peut-on aller ?

L’avis du CNB sera bien évidemment sollicité sur ces questions et sur bien d’autres. Je souhaite que la discussion soit ouverte et qu’aucune piste ne soit écartée a priori.

Au-delà de la justice civile, si nécessaire au maintien du lien social, je veux aborder également la justice pénale.

3.3. La simplification de la procédure pénale

Nous devons, ensemble, répondre aux légitimes attentes de nos concitoyens qui aspirent à une justice pénale plus accessible, plus proche et plus diligente dans le traitement de leurs requêtes ou de leur situation.

Il nous faut aussi faciliter le travail quotidien de tous les acteurs de la chaîne pénale, en amplifiant l’effort de simplification déjà engagé mais dont les résultats paraissent encore insuffisants.

C’est dans cette perspective que j’ai souhaité qu’une large concertation soit engagée dès à présent auprès de l’ensemble des professionnels concernés (magistrats, greffiers, policiers et gendarmes, avocats, huissiers) afin de recueillir les propositions de nature à amplifier l’effort de simplification initié par la loi du 3 juin 2016.

Les deux chefs de file que j’ai désignés - Jacques BEAUME (procureur général honoraire, ancien membre du Conseil Supérieur de la Magistrature, auteur d’un rapport sur la procédure pénale juillet 2014) et Franck NATALI (avocat au barreau de l’Essonne, ancien Bâtonnier), seront chargés de mener cette concertation et de restituer leurs propositions, à compter du 15 Janvier 2018 dans la perspective de la loi de programmation pour la Justice qui sera présentée au printemps 2018 au Parlement.

S’agissant des modifications ou améliorations à venir, leur objectif n’est pas de réformer en profondeur l’architecture de notre procédure pénale mais de simplifier autant qu’il est possible les règles existantes, d’alléger le formalisme tout au long de la procédure pénale afin d’accroître l’efficacité de la justice pénale dans la recherche et la condamnation des auteurs d’infraction, et ce, sans porter atteinte aux exigences conventionnelles et constitutionnelles, auxquelles la France est profondément attachée.

S’agissant plus précisément de la phase de jugement, les objectifs poursuivis visent notamment à réduire la durée des procédures, à rationaliser le régime des nullités, à renforcer les droits des victimes.

3.4. Le sens et l’efficacité de la peine

Le chantier relatif au sens et à l'efficacité des peines devra pour sa part aboutir, à un changement de paradigme : ne plus faire de la prison la peine de référence.

L’échelle, l’aménagement et l’exécution des peines doivent être repensés, sous la supervision de Bruno Cotte, magistrat et de Julia Minkowski, avocate au barreau de Paris, pour répondre à ce souci d’adapter, notamment les courtes peines, à l’impératif d’efficacité qui fondent la qualité de la réinsertion et la confiance des justiciables en notre institution.

Enfin, je sais les craintes que suscite, pour votre profession et pour notre réseau territorial, le chantier relatif à l'adaptation de l'organisation judiciaire.

Il est donc naturel que Philippe Houillon, et Dominique Raimbourg, tous deux avocats, en soient les chefs de file. Si l’incidence de la numérisation et de la simplification est réelle, notre organisation judiciaire devra être adaptée. Il nous faut donc en définir les principales directions (proximité, spécialisation, collégialité, cohérence de l’action de l’Etat) avant d’en mesurer l’impact. Mais ces évolutions se construiront dans la concertation et je l’affirme encore devant vous, en conservant le maillage actuel de nos juridictions, en maintenant les implantations judiciaires actuelles.

La place qui est d’ores et déjà la vôtre dans la construction de la justice de demain démontre, si cela était encore nécessaire, la confiance que vous accordent l’Etat, le législateur et les justiciables pour accomplir votre mission avec la dignité, la conscience, l’indépendance, la probité et l’humanité qui vous caractérisent.

4. Conclusion

Ensemble, le défi qui nous attend, à partir du thème choisi pour votre convention, est de faire résonner, dans une polyphonie féconde, économie avec qualité, territoire avec proximité, et numérique avec confiance.

L’avocat est plus que jamais l’intermédiaire de confiance sur lequel le justiciable peut s’appuyer, l’auxiliarius, celui qui vient à l’aide du justiciable, dans une relation avant tout humaine.

Ces préoccupations sont au centre de la relation avec le justiciable, mais doivent également guider les relations entre les avocats, les greffiers et les magistrats.

La Cour de cassation a ainsi choisi de placer la question des relations magistrats/avocats, au cœur de son prochain colloque du 30 novembre 2017 intitulé « Déontologies croisées des magistrats et des avocats ».

Des pistes de réflexion sont ouvertes, sur l’existence et l’opportunité de formations de déontologie communes.

Et encore une fois, la sagesse des Anciens évoquée en introduction pourra nous éclairer. Je conclurai donc en reprenant les mots de Duvigneau, avocat et procureur au Parlement de Bordeaux, prononcés en 1780, sur les règles communes selon lui à l’avocat et au procureur : « Il est de leur devoir d’épouser les intérêts de leurs parties, sans épouser leurs passions, d’exercer leur ministère avec la modération, la douceur et l’honnêteté que se doivent réciproquement des personnes dont la profession est de ne demander que la Justice, sans intérêt propre. Et ce devoir renforce à plus forte raison celui d’une fidélité parfaite à s’abstenir de toute surprise ».

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